Font-ils un tabac ? n°28

par Erwin Van Hove

20/01/14

Cornell & Diehl, Star of the East

Quand j’achète une boîte de tabac de 8oz, soit 227 grammes, avec l’intention de l’encaver et que 7 ans après la date d’achat, je découvre qu’elle n’est plus sous vide parce que la rouille a troué le couvercle, je ne déborde pas exactement de sympathie pour la compagnie qui m’a livré ce conditionnement de qualité inférieure, d’autant plus que ce n’est pas la première fois que ça m’arrive. Je vous rappelle mes déboires avec plusieurs GLP maturés, mis en boîte début des années 2000 chez Cornell & Diehl. En tout cas, plus question de laisser mon tabac se mourir à petit feu dans sa cage pourrie. Il faut ouvrir. Je jette donc la surface de brins de tabac et de fragments de rouille et je verse le reste dans deux bocaux pouvant contenir 100g. Reste alors une vingtaine de grammes pour faire une dégustation. Après quelques pipées, je suis rassuré : le tabac n’a pas souffert.

En examinant la composition de ce tabac en coupe classique, j’ai du mal à croire l’affirmation de Craig Tarler. Alors que sur le site web de C&D je lis que le Star of the East contient 50% de latakia, mon tabac est nettement plus brun que noir. Aux dires de C&D, l’autre moitié serait composée d’herbes orientales et de stoved red virginia. Le nez est classique pour un anglais bien né : sous-bois, cuir, feu de camp. Ces odeurs forment un tout harmonieux et pondéré. Comme le tabac a été exposé à l’air pendant je ne sais combien de temps, il est évidemment bien sec, mais sans pour autant être racorni et momifié.

L’allumage révèle d’emblée un mélange riche en goût, agréable et bien structuré. Les virginias déroulent un somptueux tapis de douceur sur lequel s’ébattent les petits Turcs vifs et pétillants pendant que le latakia brosse le décor d’une bibliothèque où crépite un feu de cheminée devant des fauteuils chesterfield patinés. Les sucres n’empêchent pas que les muqueuses se mettent à picoter sous l’effet d’une bonne pincée de sel et d’une vigoureuse acidité. Cette sensation en bouche est puissante et peut dérouter des âmes sensibles, mais personnellement, j’aime bien cette vibrante énergie. Dans le dernier tiers, les virginias gagnent en force et préparent une finale ronde et équilibrée.

Le Star of the East doit plaire à tous les amateurs d’anglais costauds. La combustion est exemplaire, le taux en nicotine ne peut offusquer personne, les saveurs s’expriment à la fois avec franchise et cohérence. Ce mélange mérite d’être plus connu. A noter qu’il existe également une version sous forme de flakes.

James J. Fox, Dorisco Mixture

Voilà une boîte de tabac qui sans vergogne joue sur les fausses apparences. A commencer par le trucage de son origine. Quiconque lit en gros caractères sur une boîte de tabac James J. Fox & Co. LTD Dublin – London, est certain de s’offrir un mélange produit par la vénérable maison établie depuis plus de 125 ans dans la capitale irlandaise. Il n’en est rien. En vérité, il s’agit bêtement d’un des innombrables blends fabriqués en Allemagne chez Kohlhase & Kopp. Ca ne s’arrête pas là. Il y a nettement pire. Voici l’intégralité du texte imprimé sur le dessus de la boîte : Pure Perique, derived from tobaccos smoked by American Indians in their pipes of peace, has been added to a base of coarse cut Virginian mixture to give a distinctive flavor to this hand blended mixture. C’est clair et net et ça ne laisse pas de place au doute : le Dorisco Mixture est un mélange virginia-perique. Pour le tester, vous sélectionnez donc dans vos râteliers l’une de vos meilleures fumeuses de VA/perique. Vous voilà prêt. Vous ouvrez la boîte, vous approchez votre organe olfactif de la surface et là, incrédule, vous sursautez. Une incontestable odeur de latakia vous rit au nez. Ca alors.

D’accord, ce n’est pas une bombe à latakia, mais il est indéniable qu’on sent davantage du latakia chypriote que du perique. Je suis même convaincu que le mélange contient également une pincée de tabacs orientaux. En tout cas, avec ses notes d’encens et de champignons, ça sent plutôt le mélange anglais léger que le VA/perique. Rien à voir donc avec la description sur la boîte.

Les brins fauves, bruns et noirs en coupe assez fine collent au papier qui protège la surface du tabac. Pourtant au toucher le tabac ne semble pas trop humide, impression qui sera confirmée par une combustion sans problèmes. Après quelques bouffées, il faut se rendre à l’évidence : si le Dorisco Mixture n’a strictement rien en commun avec un authentique VA/perique, il tient vraiment la route. Voilà un anglais rond et équilibré, agréable et suave. Il n’a rien de spectaculaire, mais du début à la fin il se montre doux et enjôleur, avec ce qu’il faut d’épicé, de fumé et d’acide pour contrebalancer sa remarquable mollesse.

Malgré son étiquette trompeuse, je recommande chaudement le Dorisco Mixture à quiconque sait apprécier un mélange anglais qui sans tambours ni trompettes développe des saveurs sobres et modestes, mais parfaitement rondes et équilibrées. Il ne faut jamais sous-estimer les blenders allemands. A découvrir.

DTM, St. Bernard Flake Tobacco

Voilà une autre boîte qui risque de vous induire en erreur. Il va de soi que le nom St. Bernard rappelle celui du St. Bruno. Et comme la typographie et la couleur de la boîte s’inspirent clairement de l’étiquette du St. Bruno, je suppose ne pas être le seul à s’attendre à un tabac qui a pour vocation d’imiter le style du célébrissime flake anglais. Cette hypothèse semble d’autant plus réaliste que l’authentique St. Bruno est une denrée rare en Allemagne puisqu’il n’y est pas disponible.

L’ouverture de la boîte met un terme abrupt à mes conjectures. Les tranches de tabac ne ressemblent nullement aux flakes qu’elles sont censées imiter. Elles sont nettement moins foncées. Et puis il y a le nez. Strictement rien à voir avec le typique parfum du St. Bruno avec ses accents floraux, savonneux et citronnés sur fond de chocolat. Ici on sent surtout des figues et des pruneaux. Et puis, dans le fond, une touche de renfermé et de moisi. Pardi, ça sent le typique VA/perique. Je vérifie donc dans le catalogue de Dan Pipe. C’est bel et bien un mélange de virginia et de perique, fermenté ensemble dans une presse.

Il n’est pas nécessaire de sécher les flakes. Il suffit de les plier et de les enfourner telles quelles. La combustion est lente et ne pose pas de problème particulier. Le début est passablement fruité sur la figue et le pruneau. Ces saveurs de perique sont soutenus par un virginia passablement épicé, mais qui ne se distingue pas par sa douceur. Le tabac est clairement évolutif : au début, j’ai l’impression que le tabac manque de force, alors que plus tard la vitamine N est nettement plus présente. Parallèlement les fruits secs disparaissent pour réapparaître de temps en temps par flash, alors que le poivré et l’épicé gagnent en ampleur.

J’imagine que pas mal de pipophiles apprécieront le St. Bernard Flake pour son classicisme. Il me rappelle d’ailleurs les VA/perique de chez Rattray’s, produits eux aussi en Allemagne. Or, personnellement je n’ai jamais été grand fan du Marlin Flake ou de l’Old Gowrie. Je préfère mes VA/perique soit plus opulents et fruités comme l’Escudo, soit plus acides et caustiques comme l’ancien Three Nuns. Ce sera donc ma première et ma dernière boîte de St. Bernard, ce qui ne veut pas dire pour autant que je vous déconseille de l’essayer.