Font-ils un tabac ? n°131

par Erwin Van Hove

18/11/22

Pfeifen Huber, Epikur

Actuellement le site web de Pfeifen Huber affiche le texte suivant : Chers clients, notre tabac Epikur n'est malheureusement plus disponible jusqu'à nouvel ordre. En raison des dispositions du Brexit qui ne sont pas encore clarifiées, pour le moment nous ne pouvons plus nous procurer ce tabac en Angleterre. Nous travaillons à une solution.

Vous vous demandez évidemment quel pourrait bien être le rapport entre un mélange maison d’une civette allemande et le Brexit. Simple : l’Epikur n’est rien d’autre que le Full Virginia Plug produit par Samuel Gawith. Oui, plug. Pas flake. Cette version du célèbre Full Virginia commercialisée exclusivement au Royaume-Uni et dans certains pays de l’Europe de l’Est, Huber l’avait importée à la demande de Pfeifenundmehr.de, l’excellent portail consacré à la pipe malheureusement défunt en 2016.

En consultant Tobaccoreviews, je comprends pourquoi les responsables de Pfeifenundmehr ont voulu introduire le Full Virginia Plug sur le marché allemand. Si le flake confirme sa solide réputation avec un excellent score de 3,5, le plug fait encore mieux : 3,8 est une note carrément exceptionnelle. Je m’attends donc à découvrir un petit chef-d’œuvre.

Dans la boîte se trouvent plusieurs petits blocs très foncés qui dégagent très peu d’arômes : je ne distingue que des tons sombres en sourdine. En revanche, quand j’aspire profondément, je découvre une évidente odeur de vinaigre et de fermentation qu’on ne retrouve pas dans le flake.

Il est facile de trancher les plugs. Par contre, même en les malaxant longuement, j’ai du mal à transformer les tranches, pourtant coupées finement, en brins facilement bourrables. Le tabac colle. Un séchage préalable s’impose donc.

Le goût correspond parfaitement au nez. Plutôt que de produire des saveurs individuelles et définissables, la fumée se borne à donner une impression générale : on est en plein dans le terreux et le ténébreux. C’est en réalité la structure qui mène le jeu avec une acidité marquée mais noble, suffisamment de sucres pour la contrebalancer et une touche d’amertume et de salinité.

Il est vrai que dans certaines pipes le virginia réussit à produire de timides saveurs de pain et de fruits étuvés, mais la plupart du temps j’ai l’impression de fumer l’ossature d’un mélange plutôt qu’un produit fini. Certes, ce squelette est solide, mais il n’arrive pas à masquer le manque de chair. Et par conséquent, il ne se passe pas grand-chose pendant le fumage. Bref, un tantinet barbant, l’Epikur.

Reste le défaut majeur : il m’est rarement arrivé de tomber sur un tabac aussi difficile à fumer. Même après plusieurs heures de séchage, il s’éteint pour un oui pour un non. Il lui arrive même de produire du jus. Plutôt qu’un plaisir, le fumage devient ainsi un combat. Très frustrant.

Bien sûr je suis content d’avoir pu tester le Full Virginia Plug, mais je ne regrette pas qu’il n’ait jamais été distribué dans nos contrées. De toute évidence, l’Epikur est loin de combler le pipophile hédoniste que je suis.

Pfeifendepot, Blonder Hans

Nous sommes fin octobre et il fait 24°. Du jamais vu dans le plat pays qui est le mien. Par un temps pareil, je n’ai pas envie de fumer un tabac maussade comme l’Epikur. Non, il me faut quelque chose de joyeusement estival. Un virginia blond par exemple. En fouillant mon stock, je tombe sur une boîte de Blonder Hans. Voilà qui devrait être parfait. Je l’ouvre sans tarder et à l’instant je déchante. Au lieu d’une mixture blonde, je découvre des curlies certes parsemés d’accents blonds, mais essentiellement bruns foncés. Blonder ? Mon œil.

Je consulte le site web de Pfeifendepot et là je comprends que le nom du tabac ne se réfère pas à la couleur du mélange, mais à l’acteur allemand Hans Albers (1891-1960) qui aimait se faire photographier la pipe au bec. Le texte de présentation du tabac voit en l’acteur la personnification de Hambourg, loue son charisme et sa personnalité, et le juge immortel. Ce qui n’est pas mentionné, c’est que cette personnification de Hambourg a collaboré dès 1933 à plusieurs films de propagande nazi. Passons.

Le blond, c’est bel et bien du virginia blond. Le brun, c’est du kentucky. Aux dires du blender, il a cherché à combiner le sucre naturel du virginia avec un fumé discret. Il faut dire que plutôt que sur le fumé, le kentucky s’exprime sur des odeurs de caramélisation ou de mélasse. En combinaison avec les arômes du virginia, ça donne un ensemble réconfortant qui évoque les viennoiseries sur un fond légèrement terreux. Franchement appétissant, ce nez.

Les curlies sont secs, peut-être même un peu trop, et permettent de bourrer ma pipe sans les effriter. Les premières saveurs correspondant parfaitement au nez, je me crois parti pour une véritable partie de plaisir. Mais très vite tout change. Désormais les alléchantes viennoiseries, je les devine plutôt que je ne les goûte. Le kentucky prend le dessus, mais pas avec des saveurs fumées. Non, je décèle des notes grillées, un petit goût de mélasse et le couple amertume-acidité qui donne du fil à retordre au délicat virginia à la douceur modeste.

Modestie. C’est le mot-clé qui capte l’âme du Blonder Hans. Étonnant pour un tabac qui est supposé rendre hommage à un acteur célèbre pour son ego massif et son caractère exubérant. Le peu de saveur que j’arrive à déceler me rappelle vaguement la gamme des curlies de MacBaren, mais alors en version pâle et inexpressive.

Il se peut très bien qu’aux yeux de certains le mélange passe pour être subtil. Pour moi qui aime les sensations plus fortes, il est fade, pour ne pas dire à la limite de l’insipidité, d’autant plus que le manque de vitamine N rend la fumée extrêmement légère et aérienne. Quand je ne me concentre pas, j’ai l’impression d’aspirer de l’air chaud.

Bref, je suis resté sur ma faim. En voulant fumer du blond, je suis tombé sur du délavé.

HU-Tobacco, Cervantes

La boîte porte fièrement la mention Gran Reserva Limitada 2 Años. À l’heure où j’écris ces lignes, cette série limitée compte trois mélanges dont les noms s’inspirent de Don Quichotte : à part le Cervantes dominé par le burley, il y a le Rocinante à base de virginia et le Sancho Panza qui contient du latakia. Ce qui distingue ces tabacs du reste de l’écurie HU, c’est qu’avant de les commercialiser, Hans Wiedemann les fait âger pendant deux ans pour que les saveurs se marient et s’approfondissent.

Conçu par Wiedemann mais produit par Kohlhase & Kopp, le Cervantes combine du burley, du red virginia, du perique et une pointe de kentucky, et se présente sous forme d’un mélange de ribbons et de ready rubbed. Les quatre ingrédients exhibent diverses teintes brunes et dégagent des arômes discrets qui forment un tout harmonieux. Chaque tabac apporte sans aucune forfanterie sa pierre à l’édifice : le burley avec des odeurs terreuses et subtilement chocolatées, le virginia avec un soupçon de croûte de pain, le kentucky avec une petite note grillée et le perique avec un certain fruité et un accent de moisi. J’ai la nette impression de sentir là un burley blend pondéré et nuancé et non pas un petit burley vite fait bien fait qui cherche à plaire avec ses superficiels arômes de chocolat.

L’hygrométrie du mélange permet un bourrage sans séchage préalable. Aussi le tabac s’allume-t-il sans problèmes. Dès les premières bouffées il est clair que le Cervantes est bel et bien une prestigieuse Gran Reserva : tout comme le nez, les premières saveurs frappent par leur équilibre et leur fondu. Voilà des saveurs homogènes et sérieuses, à mille lieues du tape-à-l’œil, qui trahissent la quête du raffinement et la maîtrise du blender. Terre, cacao, bois, pain, épices piquantes et fruits secs s’imbriquent et se fondent en un ensemble nuancé et rigoureux qui a tout pour satisfaire le pipophile qui sait apprécier à sa juste valeur la recherche de l’harmonie.

Remarquez que ce n’est pas exactement un tabac facile : peu sucré, il peut paraître trop austère à certains, d’autant plus que les saveurs sont accompagnées d’une certaine acidité. En outre, il faut nécessairement un rythme de fumage pondéré et une concentration certaine pour pouvoir en découvrir et apprécier les subtilités. Ce n’est donc pas un all day smoke qu’on peut fumer en toutes circonstances sans y prêter grande attention.

En cours de route, les saveurs évoluent : après le premier tiers, je décèle moins de fruité et davantage d’épices et un goût qui me rappelle certains cigares. Parallèlement la vitamine N se fait plus présente, mais sans pour autant assommer le fumeur. Malgré cette évolution, je note deux constantes : tout au long du fumage c’est le perique plutôt que le virginia qui soutient et complémente le burley, et même quand les saveurs se transforment, l’équilibre est sauvegardé à tout instant.

Avec ses flatteurs goûts de chocolat et de noix de coco, le typique burley blend populaire vise à nous procurer des plaisirs simples. Manifestement le Cervantes est d’un tout autre gabarit. Complexe et nuancé, il ne s’adresse pas à l’amateur de burley roturier mais au consommateur averti et exigeant qui affectionne les mélanges travaillés et scrupuleusement mis au point. Pour moi, le Cervantes est donc sans conteste un exemple convaincant de ce qui constitue l’art du blending.

Attention : comme il s’agit d’une série limitée, les trois mélanges Gran Reserva Limitada 2 Años sont souvent en rupture de stock. Je vous conseille donc de passer à l’achat sans hésiter quand vous tombez sur une boîte de Cervantes disponible.