Font-ils un tabac ? n°125

par Erwin Van Hove

24/01/22

McClelland, Red and Black

Un McClelland stendhalien ! Et c’est en effet un tabac – je n’ose employer le mot mélange – ambitieux. D’abord parce que le Red and Black se veut marquant et mémorable puisqu’il a été spécialement créé pour célébrer le trentième anniversaire de C.O.R.P.S, le célèbre pipe club de Richmond qui organise annuellement l’un des pipe shows les plus importants des Etats-Unis. Ensuite parce qu’aux dires de Mike McNiel, les virginias dont il s’est servi, sont d’une qualité absolument exceptionnelle. Finalement parce que le red et le black stoved virginia ne sont pas mariés, mais préparés et pressés séparément. La boîte contient donc deux sortes différentes de flakes, ce qui nous permet à la fois de découvrir à l’état pur l’âme des deux ingrédients qui ont fait la renommée de McClelland, et de créer des mélanges personnels en expérimentant avec divers dosages.

Plutôt que deux piles de tranches soigneusement rangées, je trouve dans ma boîte un amalgame de flakes et de broken flakes. Me sautent aux narines les arômes si typiques des virginias de McClelland : cube bouillon, ketchup, vinaigre de cidre, une touche de sauce barbecue. Six ans d’encavement ont fondu ces odeurs en un tout harmonieux et intense.

Comme je connais suffisamment les saveurs des deux tabacs, je ne ressens pas le besoin de les goûter séparément. Je décide donc d’emblée de faire un mélange moitié red moitié black stoved, d’autant plus que sur Tobaccoreviews la plupart des dégustateurs s’accordent à dire que pareil mélange donne le résultat le plus équilibré.

Les flakes de red virginia sont fort épais, mais souples et faciles à transformer en brins, alors qu’en émiettant le black stoved pourtant plus mince, j’obtiens des morceaux de broken flakes durs et difficiles à bourrer. Il me faut d’ailleurs plusieurs rallumages avant d’obtenir une combustion satisfaisante et en cours de route le tabac s’éteint à plusieurs reprises.

Vinaigre et sauce soja, cassonade et réglisse, poivre et beurre salé, boisé et amertume : dès l’allumage le Red and Black vous transporte en plein milieu de l’univers imaginé par Mike McNiel. Les saveurs rappellent à la fois le 5100 Red Cake, le Blackwoods Flake et le Dark Star. Quoique peu dense, la fumée est bourrée de goût mais sans jamais devenir écœurante. Si elle n’est pas évolutive, elle conserve son intensité, sa complexité et son équilibre du début à la fin. Parlons-en de cet équilibre : le rapport entre douceur et acidité, amertume et salinité, épicé et boisé est absolument parfait.

Le Red and Black me conforte dans ma conviction qu’ensemble avec les maisons du Lakeland, McClelland était la seule manufacture capable de sublimer le virginia et d’imposer un style résolument personnel à ce tabac qui dans les mains de blenders moins accomplis flirte trop souvent avec la banalité. En dégustant le Red and Black, j’ai éprouvé un sentiment de plénitude et de délectation, mais en même temps un terrible regret devant la disparition définitive de ce genre de virginia extraordinaire et inimitable.

J.B. Vinche, Irish Times

Maintenant que les commerçants en ligne britanniques et allemands n’ont plus le droit d’expédier du tabac vers les pays de l’Union européenne et qu’au Royaume des Belges les rayons de tabacs à pipe dans les civettes se ratatinent à vue d’œil, il est temps de tester quelques-uns des mélanges auxquels j’ai encore accès.

L’une des marques qui restent, est J.B. Vinche. Elle fait partie du portefeuille de Vinche & Koopmans, grossiste belge d’articles pour fumeurs. Une visite au site web www.v-k.be révèle immédiatement que le tabac à pipe n’intéresse nullement l’entreprise. Dans le menu des produits on trouve de tout sauf du tabac à pipe. Pour le dénicher, il faut lancer le moteur de recherche du site. C’est incompréhensible vu que V & K est tout de même le plus grand importateur de pipes de Belgique.

J.B. Vinche présente l’Irish Times comme un mélange naturel composé de virginia, de burley et de perique. Attiré par cette description, j’ouvre la boîte immédiatement après l’achat. Après plusieurs jours de dégustation, je passe d’emblée aux conclusions plutôt que de vous ennuyer avec une verbeuse analyse.

Si vous êtes amateur de VA/perique classiques qui carburent soit aux fruits secs, soit aux notes poivrées, vous serez déçu. L’Irish Times ressemble autant à un VA/perique qu’une paire de chaussettes sales.
Si vous êtes amateur d’un bon virginia, qu’il soit sucré, fruité ou épicé ou qu’il s’exprime sur le foin ou le pain, vous serez déçu. Le virginia que contient l’Irish Times ressemble autant à un bon virginia qu’une bouse de vache.
Si vous êtes amateur des saveurs de noisette et de chocolat d’un bon burley, vous serez déçu. Le burley employé dans l’Irish Times ressemble autant à un bon burley qu’un chien mouillé.

Fumée rêche qui râpe la langue, goût sale qui me rappelle la cigarette, manque total d’harmonie et de personnalité. Si c’est le genre de tabac dont il faudra désormais se contenter, j’arrête la pipe.

Robert McConnell, Pure Brasil

Nostalgie, quand tu nous tiens…tu risques de nous décevoir.

Adolescent, je m’étais mis à la pipe, mais je fumais également des cigarillos, de préférence des Lonja, un modèle fin et très long de chez Dannemann. C’était en partie pour la frime et en partie parce que je raffolais des saveurs à la fois sucrées et épicées de ces cigarillos presque noirs entièrement constitués de tabacs du Brésil.

Je me régale donc d’avance quand j’ouvre ma boîte fraîchement arrivée. Or, l’odeur qui en sort ne me rappelle en rien mes Lonja et les brins courts en coupe fine n’ont strictement rien en commun avec la teinte oscuro à laquelle je m’attends. Il n’y a que du fauve et du brun. Je sens l’irritation monter. En humant plus longuement, je tente de déceler des traces des arômes des Dannemann, mais en vain. Je ne saurais même pas décrire ce que je sens, tant l’odeur est fade. Du pain, mais alors vaguement. Un soupçon de moisi. Une timide trace de chocolat au lait. Tout ça manque terriblement de caractère.

Il ne me faut que quelques bouffées pour savoir que la cause est entendue. Non seulement ce Pure Brasil ne me rappelle en rien mes cigarillos au tabac brésilien, en plus c’est de toute évidence un tabac très médiocre. Certes, il n’est pas du genre à me hérisser le poil, mais il ne me procure tout simplement aucun plaisir. Il rappelle vaguement le goût de cigares à deux sous, il est poivré, il est assez acide et amer, il exhibe une note chocolatée qui évoque le burley plutôt que le brasil. C’est en quelque sorte une espèce de tabac brun sans grand mérite. Combustion rapide, fumée assez rêche, aucune évolutivité. Seuls points positifs : il n’est ni trop léger ni trop puissant et il fiche la paix à votre langue.

Bien sûr, ce Pure Brasil a une bonne excuse : il n’est pas fait pour être fumé tel quel, mais pour être mélangé avec d’autres tabacs. Cela étant, je me demande si vraiment il est en mesure d’apporter quoi que ce soit de bénéfique au burley ou au latakia qu’il est supposé rehausser. Je comprends donc parfaitement le distributeur américain de la marque allemande Robert McConnell qui importe une demi-douzaine d’autres tabacs de la série Pure, mais pas celui-ci.