Font-ils un tabac ? n°113

par Erwin Van Hove

15/03/21

HU-Tobacco, Sissinghurst

Tout comme Great Dixter, Sissinghurst est le nom d’un légendaire jardin anglais (Sissinghurst Castle) et tout comme le Great Dixter (artfontilsuntabac83), le Sissinghurst a été conçu comme un mélange floral dans le style anglais d’antan. Pensez à un monstre sacré comme le St. Bruno ou aux tabacs parfumés en provenance du Lakeland. La dégustation du Great Dixter m’ayant laissé de très mauvais souvenirs, j’ouvre ma boîte de Sissinghurst avec une bonne dose de méfiance.

Hans Wiedemann a mélangé un virginia flake transformé en ready rubbed, des brins de virginia blond et une portion de kentucky et les a aromatisés avec des essences florales dont il ne révèle pas les ingrédients, mais qu’il qualifie de vivaces et toniques. Selon Tobaccoreviews, à part les arômes de fleurs, il aurait également employé des essences d’amande et de vanille.

Des fauves, des bruns, de l’aubergine. Bon degré d’hygrométrie. Un nez insistant et expansif de jardin fleuri sur fond doucereux. Je ne sens ni amandes ni vanille. En revanche, je perçois également de la terre qui chauffe et des notes fruitées sur l’orange et la bergamote. Un ensemble réussi pour un pot-pourri. Pour un tabac par contre…

C’est parti et d’emblée la fumée ne verse pas exactement dans la subtilité : une généreuse dose de sucre, une acidité poivrée marquée mais pas caustique, du grillé, et puis bien sûr une combinaison d’un bouquet de fleurs et d’une corbeille de bergamotes. Ça fait beaucoup. Pourtant, je suis nettement moins écœuré que par le Great Dixter. Herr Wiedemann a raison : c’est vivace, c’est tonique, c’est nerveux. Parce que ce sont clairement les notes aiguës d’agrume qui mènent la danse. Il faut ajouter de suite que ce n’est pas pour autant que le mélange manque d’équilibre. Les sucres contrebalancent l’acidité, alors que l’épicé, le grillé et un accent musqué la complémentent. Dans son genre, c’est donc un mélange bien fait. D’ailleurs, contrairement aux aros populaires, le tabac ne devient pas amer en cours de route et conserve avec précision toute sa force gustative. Mais attention, tant d’intensité et de fougue nécessitent des pipes à volume réduit, sinon le palais risque une overdose. D’ailleurs, le fumage terminé, ma bouche est imprégnée d’un insistant arrière-goût qui perdure.

Le Sissinghurst n’est pas pour moi. Même si j’admets que c’est un aromatique de qualité supérieure qui fera à coup sûr la joie des amateurs du genre, son aromatisation est trop tapageuse à mon goût. En ce sens, il me rappelle l’Erinmore, le modèle même du tabac qu’on aime ou qu’on déteste.

Dunhill, Three Year Matured Virginia

Il y a un quart de siècle, j’ai goûté le Three Year Matured, mais je n’ai gardé de cette expérience qu’un très vague souvenir. Il est certain qu’à l’époque il ne m’avait pas particulièrement emballé, vu que je n’en ai plus jamais acheté. D’ailleurs, il suffit de consulter Tobaccoreviews pour comprendre que je suis loin d’être le seul à avoir été déçu. C’est l’un des rares tabacs Dunhill à obtenir un score parfaitement médiocre : 2,4.

L’histoire du blend reflète clairement son manque de popularité. Introduit en 1923, sa production a été arrêtée fin des années 70. Quelques décennies plus tard, Murray’s l’a réintroduit sur le marché, mais faute de succès, l’a définitivement abandonné en 2007. Finalement, le Scandinavian Tobacco Group l’a relancé en 2015, mais vous savez ce qui est advenu depuis de la marque Dunhill.

Malgré son nom, le mélange n’est pas un VA pur. A part les virginias, notamment du rouge, il contient également un peu de tabacs d’Orient. Et, surprise, des essences de fruits dont le producteur s’empresse de spécifier qu’il s’agit d’une aromatisation very, very subtle qui laisse intact le goût des tabacs.

Ça se confirme à l’ouverture de la boîte : les tabacs ne dégagent pas d’arômes fruités. Au contraire. Le nez est discret et s’exprime sur la terre, la levure, le moisi plutôt que sur le fruit. Ce n’est qu’en humant longuement qu’on devine une vague note fruitée. Fondamentalement, c’est un nez morne, sec, un peu poussiéreux. Visuellement parlant, avec sa coupe fine et sa couleur presque uniformément brun clair, le Three Year Matured ne m’attire pas. Je crois que je vais m’ennuyer.

Je ne me trompe pas. Pas d’inacceptables défauts, pas d’atouts particuliers. Un mélange anonyme et anodin, barbant du début à la fin. Une fumée qui manque de relief et de profondeur. Une saveur peu marquée avec des notes citronnées, un côté terreux, une touche de levure, quelques épices, avec en plus un goût impur qui me rappelle la cendre de cigarette. Côté structure, on reste dans la petitesse : des sucres sobres, des acides discrets, une petite amertume et quelques grains de sel.

Pas d’évolution. Comme l’ennui devient mortel, j’ai tout le temps de me poser des questions. Comment se fait-il que le red virginia qui a fait la gloire de McClelland, est ici dépourvu de tout caractère ? Où sont passées les herbes orientales qui sont censées raviver un blend ? A quoi sert l’essence de fruits ? Pourquoi avec relancé un tabac sans aucun mérite ?

Si tous les tabacs me procuraient le même plaisir que le Three Years Matured Virginia, j’arrêterais définitivement la pipe. Voilà comment se terminait la première version de mon texte. Jusqu’au moment où j’ai constaté à ma surprise que ma boîte se vidait rapidement. J’ai donc dû me rendre à l’évidence : le Three Years Matured Virginia a tout de même un atout non négligeable. Il convient parfaitement à ces instants où vous prend l’envie de fumer une pipe sans devoir y prêter la moindre attention. Quand vous ne cherchez dans votre fumage ni sensations fortes, ni saveurs complexes, ni orgasmes gustatifs, mais que le simple fait de fumer en vaquant à vos occupations vous suffit, le banal et prosaïque Dunhill fait l’affaire.

Cornell & Diehl, Junkyard Dawg

D’habitude les mélanges supposés imiter ou émuler un grand classique disparu ou un blend emblématique d’une époque ou d’un style, s’avèrent plus ou moins décevants. Or, à en croire les commentaires sur Tobaccoreviews, le Junkyard Dawg serait meilleur que le Barking Dog, l’ancien drugstore blend américain produit par House of Windsor qui a servi de modèle à Craig Tarler. Qui dit drugstore blend, dit burley. Neuf fois sur dix en tout cas. Et comme les burley blends sont une spécialité de Cornell & Diehl, je n’ai aucune raison de douter du bien-fondé des louanges des dégustateurs.

Le Barking Dog était un mélange de burley et de latakia. La version C&D contient en plus du virginia. Et pas d’arômes artificiels. Ce n’est pas la première fois que je le remarque et l’ouverture de ma boîte âgée de onze ans le confirme : ceux qui affirment qu’un burley blend ne se bonifie pas avec l’âge, doivent se raviser. Des tabacs fauves, bruns et noirs en très grosse coupe sortent des odeurs parfaitement fondues en un tout complexe et harmonieux. Du fruité, de l’épicé, du terreux, du grillé, du fumé, du vinaigre de cidre. Une symphonie. Et quand je tire sur ma pipe bourrée avant l’allumage, apparaît en plus un goût de noisette. Burley oblige.

Comme je n’arrive pas à me décider s’il me faut des pipes dédiées au latakia ou des bouffardes réservées au burley, je finis par opter pour des cobs, pour des Prungnaud et pour des Gouda à double paroi.

Il ne me faut que quelques secondes pour me rendre compte qu’en bouche le tabac tient les promesses du nez. Quelle parfaite collaboration entre les virginias discrètement fruités, gentiment épicés et tout doux mais nullement sirupeux, le burley à l’ancienne, sec et terreux, et le latakia toujours présent mais parfaitement intégré dans l’ensemble et qui apporte un léger fumé et des notes de cuir. Et puis, quel équilibre entre sucres, acides et salinité. Juste parfait.

Tel qu’il se présente à l’âge de onze ans, le Junkyard Dawg prouve avec autorité que ceux qui sont convaincus que le burley et le latakia ne s’accordent pas, se trompent. Le terreux, le cuir et le fumé s’harmonisent à merveille.

Si la fumée est bourrée de goût, le Junkyard Dawg est un tabac relativement léger. Pas de kick nicotinique donc. Pas non plus d’évolution, mais je ne m’en plains nullement. En vérité, je suis fort content que les saveurs restent constantes jusqu’à la fin. Le seul reproche que je pourrais faire, c’est que malgré sa coupe XXL, le tabac se consume rapidement. Trop rapidement à mon goût. Mais n’est-ce pas le plus grand compliment qu’on puisse faire à un tabac ?