Font-ils un tabac ? n°104

par Erwin Van Hove

23/03/20

Amphora, Burley

Déjà à l'ouverture de la pochette, j'ai la nette impression que quelque chose cloche. Je trouve le mélange de broken flakes trop foncé pour un burley blend et quand je plonge le nez dans la pochette, je repère parmi d'autres odeurs le typique fumet de dark fired kentucky. Or, le texte de présentation allemand imprimé sur la pochette est on ne peut plus clair : c'est un blend de burley et de virginia. Incrédule, je fais une recherche sur le web. Immédiatement je tombe sur deux séries de sources : des allemandes et des américaines. Tous les sites teutons confirment ce que je viens de lire sur ma pochette, alors qu'aux Etats-Unis, le tabac est systématiquement présenté comme un mélange de burley, de virginia et de kentucky. Par ailleurs, il est à noter que de l'autre côté de l'océan Atlantique, les pochettes portent le nom de Burley Blend.

Une fois de plus, nous sommes confrontés à des pratiques de la part des fabricants et des importateurs de tabac que je ne m'explique pas. Soit. En tout cas, il est désormais établi que le Burley contient bel et bien du dark fired kentucky. Comme Mac Baren, le producteur de la gamme Amphora, travaille régulièrement avec ce tabac et à bon escient, je suis le dernier à m'en plaindre.

Je dois dire que je suis agréablement surpris en sortant le tabac de la pochette. Voilà de beaux broken flakes, pas trop humides, qui exhibent une variété de bruns avec ici et là de petits accents fauves. C'est du sérieux. C'est pareil au niveau olfactif : je découvre un nez très naturel, assez introverti dans lequel on reconnaît le typique terreux du burley et, plus discrètement, des nuances chocolatées, quelque chose de poussiéreux ou de renfermé et puis l'odeur de viande fumée et la typique note aigre du kentucky. Pour un tabac vendu en pochette sous un nom de marque qui cible une clientèle très large, moi je dis chapeau.

Les broken flakes ne collent pas aux doigts et se transforment aisément en brins bourrables qu'on peut allumer sans séchage préalable.

Les toutes premières bouffées me lancent immédiatement dans le thème de l'old school burley noisetté et terreux. Miam. Mais immédiatement après, les deux autres ingrédients font sentir leur présence : le virginia à peine fruité joue son rôle d'édulcorant, alors que le kentucky apporte de l'acidité et rehausse le tout d'une discrète note fumée, mais surtout d'une bonne dose de piment. Tout va bien.

Mais dès que ce trio atteint sa vitesse de croisière, je me rends compte que mon enthousiasme initial se perd. Et pour trois raisons. Tout d'abord parce qu'à mes yeux, ce n'est pas un burley blend. Les typiques saveurs et le côté sec, un peu amer du burley n'arrivent plus vraiment à se mettre en exergue, dominés et dénaturés qu'ils sont par l'acidité et le goût pimenté du kentucky. Ensuite et par conséquent parce que le mélange ne brille pas par son équilibre. Plutôt que de collaborer pour former un tout harmonieux, les ingrédients n'en font qu'à leur tête. Et enfin, je trouve la fumée passablement rêche et aigrelette. Elle manque de velouté et de corps. C'est là qu'on voit que le simple Amphora ne joue pas dans la même cour que les opulents burley/kentucky de la série HH de Mac Baren.

Ceci dit, après avoir fumé à plusieurs reprises le Burley dans mes Missouri Meerschaum de luxe, je me rends compte que mon jugement est peut-être trop sévère. Dans les cobs, le mélange s'est montré nettement moins caustique et donc plus équilibré, et du coup, le burley est parvenu à s'affirmer davantage, voire à se profiler comme l'ingrédient principal. En fin de compte, j'admets même que, tout imparfait qu'il soit, pour un tabac sans prétention conditionné en pochette, le Burley d'Amphora tient la route. Seulement voilà, pour deux euros de plus, Mac Baren propose des alternatives autrement plus réussies. Alors pourquoi se priver ?

L.J. Peretti, St. James Mixture

Encore un blend qui se réfère à la célèbre St. James Parish, le terroir louisianais où se cultive la denrée rare qu'est l'authentique perique. Ce terroir doit être miraculeux puisqu'à en croire les descriptifs de quelques centaines de mélanges, sa micro-production arrive à approvisionner à profusion les blenders des deux côtés de l'Atlantique. Ça me rappelle la multiplication des poissons et du pain. Soit.

Le St. James Mixture est tout nouveau puisqu'il vient d'être lancé sur le marché au mois de mars 2019. Cela explique pourquoi au moment où j'écris ces lignes, le mélange est mentionné sur Tobaccoreviews mais n'a pas encore fait l'objet de la moindre revue.

En regardant de près le mélange, on découvre des virginias blonds et rouges et une bonne dose de perique. Quant à la coupe, c'est un mélange de ribbons courts et d'épais fragments de broken flake. Côté olfactif, le perique ne s'exprime ni sur les fruits secs ni sur le poivre. Il y a pas mal d'acides volatiles et puis de vagues odeurs de moisi et d'engrais chimique. Les virginias de leur côté sentent le pain et les biscuits. Dans son ensemble le nez n'est ni rebutant ni particulièrement appétissant. C'est en fait un nez plutôt fade et anonyme.

Vous parler du fumage relève de la corvée. Parce qu'il n'y a rien d'intéressant à rapporter. Certes, le St. James se laisse fumer. Il ne mord pas, il ne s'éteint pas pour un oui pour un non, il ne glougloute pas. Il n'écœure pas non plus, il n'est pas désagréable, il n'est pas déséquilibré. Le problème, c'est que ce sont là ses plus grands mérites.

C'est donc un VA/perique correctement composé avec des ingrédients respectables mais qui manque de personnalité. On ne peut pas dire qu'il soit trop léger et pourtant je lui aurais souhaité plus de oumph. Et c'est pareil pour le goût : il serait injuste de lui reprocher d'être insipide et cependant il me manque des saveurs nettes et bien définies. Les virginias restent fort discrets et le perique verse dans l'acidité poivrée. Un peu de sucres supplémentaires, une petite note de fruits secs, une fumée plus veloutée auraient fait un monde de différence. Et un soupçon d'évolutivité parce que là, je finis toujours par m'ennuyer.

Le St. James Mixture n'est pas mauvais. Ceci dit, le marché offre aux amateurs de VA/perique une jolie gamme de produits bien faits avec des profils bien distincts et je ne peux pas dire que le VA/perique de Peretti enrichisse cet éventail. A mon avis, c'est le genre de blend qui, s'il venait à disparaître, ne manquerait à personne.

Solani, Virginia Flake with Perique (Blend 633)

Et hop, encore un mélange qui s'enorgueillit de la présence de perique louisianais. Quant aux virginias, il s'agirait d'un mélange de VA blond et de Old Belt red virginia, donc de virginia rouge en provenance de Virginie et de Caroline du Nord.

Tout comme la gamme des tabacs Reiner, les mélanges vendus sous le nom de marque Solani ont été composés par le célèbre blender allemand Rüdiger Will et sont produits et commercialisés par Kohlhase & Kopp.

La boîte rectangulaire contient deux rangées de beaux flakes finement coupés et plutôt foncés dans lesquels on reconnaît aisément les deux variétés de virginia. A l'âge de trois ans, le nez, quoique peu prononcé, est agréable et invitant avec ses notes fraîches et fruitées qui me rappellent vaguement l'orange, l'abricot et la prune. Un VA/perique estival et bon enfant.
Comme les tranches de tabac sont si fines, il n'est pas nécessaire de les défaire. On peut parfaitement les plier, les rouler quelque peu entre les doigts pour les enfourner ensuite telles quelles, d'autant plus que leur hygrométrie est parfaite.

Les premières bouffées sont joliment fruitées. A nouveau elles me rappellent l'abricot et l'orange. C'est léger, frais, espiègle. Ca respire la joie de vivre. En plus, c'est gentiment sucré sans être écœurant et une petite touche à la fois acide et amère ravive le tout. Une belle entrée en matière dominée par des virginias fort plaisants.

Ensuite, on change de registre : le perique se met à épicer le tout et l'acidité gagne en ampleur. Du coup, ça devient plus viril et plus sérieux, mais pas trop. Les épices ne dominent pas, mais au contraire s'intègrent harmonieusement dans l'ensemble. Voilà un bel exemple de la collaboration réussie entre virginia et perique.

A peine un tiers du bol terminé, voilà que le tabac évolue encore. Les sucres flatteurs du début jouent désormais un simple rôle d'édulcorant pour contrebalancer les effets d'une acidité et d'une amertume accrues. Parallèlement, le fruité se retire dans le fond pour faire place à un épicé piquant bien marqué qui s'exprime sur le poivre et, parfois, le gingembre. Décidément le perique a pris les rênes.

En même temps je note que le tabac se consume fort lentement, que la fumée n'est pas très puissante bien qu'elle soit bourrée de goût, et que si je sens l'effet de l'acidité sur mes muqueuses, ma langue se sent parfaitement à l'aise. Cependant, vu la lenteur de la combustion et le fait que l'évolutivité semble arrivée à terme, je commence à ressentir une certaine lassitude. Le piquant commence à me peser.

Arrive enfin le final qui instaure un nouvel équilibre. Le fruité revient mais sans la fraîcheur des débuts : on est maintenant plutôt sur le pruneau. N'empêche que grâce au fruit sec, les épices deviennent moins incisifs.

Afin d'être complet avant de passer à ma conclusion, je partage avec vous une dernière observation. Moins d'une semaine après l'ouverture de ma boîte, le tabac a sérieusement évolué. Ainsi, les arômes sont devenus méconnaissables. Plus de fruits frais. Désormais, je sens plutôt du cake aux fruits et du pain d'épices. Parallèlement, l'entrée en matière fraîche et fruitée est remplacée par de classiques saveurs de VA/perique : du pain, des fruits secs, du poivre. Le mélange perd en évolutivité, mais gagne en équilibre : l'acidité et le piquant sont moins marqués et mieux contrebalancés par la douceur des virginias. Maintenant ce ne sont plus les premières bouffées que j'apprécie le plus, mais le final quand pendant quelques minutes les différentes saveurs se fondent en un tout profond et complexe.

Sur Tobaccoreviews le Blend 633 obtient l'excellent score de 3,4. Mon enthousiasme est plus mitigé que ça. Je dois dire que j'ai beaucoup aimé les premières minutes de fumage quand la boîte était fraîchement ouverte. Mais comme je ne suis pas amateur de perique vraiment piquant, j'ai fini par être déçu. Plus tard, le 633 a fini par trouver son équilibre. En perdant son caractère incisif, il s'est nettement amélioré mais en même temps il s'est standardisé, ce qui fait que c'est un VA/perique respectable et comme il faut, mais qui ne fait pas battre mon cœur. Ce n'est pas la première fois que j'ai dégusté ce Solani. A l'époque, il ne m'avait pas particulièrement impressionné et aujourd'hui mon avis n'a pas changé.