Errances d’une volute

par Laurent M

17/10/22

Saison 25 - Kohlhase, Kopp & Co - Winter time 2021, Easter edition 2020, Rattray’s Blossom Temptation 2021 - Les Cerbères

C’était à la Cantine Diderot, un de ces soirs du mois de juillet 2022 où le clan des australopipèques était réuni autour de quelques feux pour partager leurs herbes médicinales. Habituellement, cette cérémonie sacrée se déroule dans un calme olympien. Lors de la dispersion de cette réunion, tout le monde repart normalement avec ses sachets d’herbe au creux de sa tenue de peaux cousues. Il ne reste normalement rien du passage afin d'effacer toute trace susceptible d’attirer l’attention des limiers et prédateurs. Lors de cette session de juillet, tout le monde se lève donc et, reste sur la table trois sachets d’échantillon. Des aros ! Brutalement les regards se figent, les gestes deviennent plus flous, les propos évasifs : “Non merci !”, “Pas pour moi”, “Grrr !”, “Gnourf !”. On voit tout de suite l’orientation tabagique de ce clan ! Moi, ma maman m’a toujours dit de finir mon assiette même quand c’était pas bon et de goûter au moins un peu pour me faire ma propre opinion. Je ramasse donc les paquets aux doux noms de “Winter time”, “Easter edition 2020” et “Blossom temptation”.

Bon, me dis-je, il faut essayer quand même, ne serait-ce que pour confirmer l’attrait ou non, vers les tabacs aromatisés. Et, fichtre, ils le sont ! Déjà à la Cantine, dans les remugles vaporeux et suants du clan (l’assemblée des guerriers, pas le tabac homonyme !), les trois petits paquets développaient les senteurs écœurantes de ces petits bonbons à la fraise rose vif du plus beurk effet et affreusement addictifs. Quelques jours après, j’ai défait mon sac de pipe que j’avais jeté négligemment dans mon antre avant de retourner chasser le fichier Excel. Quelle odeur sucrée et fleurie ! Je me disais, en sniffant les paquets, que tout cela se mélangeait et ressemblait vaguement à la même odeur. Entre les trois tabacs, rien ne semblait ressortir de manière flagrante. Même la composition des trois bestiaux semblait identique, un peu comme Cerbère, ce chien à trois têtes gardant l’entrée des enfers.

Winter time 2021

J’ai commencé par le “Winter time 2021”, par pur esprit de contradiction ou de prédiction. 30°C à Paris en ce mois de juillet, ce sera sans doute une température d’hiver en 2070, quand on accrochera les boules aux palmiers et qu’on se dira “Noël en caleçon, Pâques en combustion”. Le “Winter time” est produit par Kohlhase, Kopp & Co et est composé sur une base de black cavendish, burley et virginias. Le “topping”, la sauce, est supposée ressembler à de la crème d’amande avec de l’orange et de la vanille. Ceci, c’est comme le goût du Beaujolais nouveau où, année après année, on retrouve la framboise et la banane ! Va faire du vin avec de la banane ! Bref, l’odeur est étouffante dès l’ouverture du sachet, sirupeuse, sucrée. Difficile de déceler des nuances dans ce magma olfactif. En laissant sécher un peu quelques minutes, l’impression d’étouffement cesse et se dissipe. Reste une odeur de cake au chocolat agrémentée d’épices, de cannelle et oui, de vanille et d’orange. Pas grand chose mais c’est présent, mais d’amande, point.

Winter time 2021

Je craignais le pire avec les aros de chez Kolhase. Les critiques qui ont été publiées ne poussaient pas à la clémence du jugement et je craignais “d’infecter” mes pipes en bruyère avec un sauçage de mauvais aloi. J’ai donc sorti les pipes classifiées “tenue NBC”, celles de tous les combats qui ne craignent rien : les maïs. Cela tombe bien, j’en avais commandé quatre nouvelles chez Missouri Meerschaum : Carolina Gent, Poker, Freebird, Gambler. Allez les filles, à l’attaque et j’ai réservé une écume pour un dernier essai.

Le winter a un goût très discret, bien loin de ce qu’il sent. C’est légèrement aromatisé et ne développe pas le goût insupportable qu’il sent, bien heureusement. Il y a des arômes de pâtisserie aux fruits rouges avec une pointe d’acidité virant du côté des agrumes. Pour autant, ce goût discret devient vite irritant à la longue. Non pas qu’il pique, bien que le “topping” ne soit pas franchement bio, mais il est vite lassant, avec ce goût caramélisé qui se développe en permanence dans les tabacs aromatisés. L’essai dans les maïs et l’écume ne sont pas parvenus à libérer une once d’enchantement de ce mélange. Exit le winter time.

Après l’hiver, le printemps avec le “Easter Edition 2020” de la même compagnie. Black Cavendish, pêche, poire, miel. J’ai dû mal fumer, j’ai dû tout confondre, “il n’y a plus d’saison madame Michu” : où est la différence de goût ? La boite change, bien entendu, mais le goût ? J’ai eu la pénible sensation de devoir refumer le même tabac que l’édition d’hier, un peu comme le félin de Matrix qui repasse devant la scène et provoque un sentiment de déjà fumé. Mais oui, c’est cela, c’est la continuité. Tout change mais rien de change, c’est la révolution, au sens astronomique, c’est à dire que le tabac fait un tour sur lui-même et revient à la même place. On ne change que les boîtes. Bon sang mais c’est bien sûr, un joli coup marketing qui permet d’augmenter sa collection de boîtes. C’est formidable car elles sont très belles. Seulement, seulement, je ne fume pas les boites mais ce qu’il y a dedans.

Easter Edition 2020

Et rebelote, me voici cette fois-ci à gratter la troisième tête de mon toutou Cerbère avec le “Blossom Temptation” de Rattray's, marque appartenant à Kolhase & Kopp. Pour être fleuri, il est fleuri avec ce black cavendish (encore et toujours) mais cette fois-ci rincé à la cerise et au cassis. La tentation fleurie ne mène pas au paradis non plus. Pourtant, la présentation de la marque avait tendance à me faire batifoler dans les prairies : “Sous le signe des cerisiers en fleurs, la maison Rattray's a choisi l'arôme de cerises juteuses, sucrées et mûres du Piémont. Ce parfum est souligné par des baies de cassis, ce qui donne à ce blend un aspect merveilleusement fruité. La composition exceptionnelle de Virginie brun doré et de Broken Flake est couronnée par le Black Cavendish, qui donne des accents noirs à l'image du tabac”. Alors, soyons très clair, la couronne de cavendish est un peu imposante pour ce tabac puisqu’il écrase tout et appartient à la catégorie du pâté d’alouette pour lequel il faut mettre en partie égale deux ingrédients : un cheval et une alouette ! Et donc on a un goût de … cheval.

Blossom Temptation

Je remarque que ces trois tabacs ont des grosses bases de black cavendish. Je cite l’encyclopédie pipière française* : “Le cavendish, black ou autre, n'est pas un plant de tabac, mais un procédé d'obtention. Ce procédé consiste à préparer un gâteau (cake) de feuilles de tabac - burley aux USA, virginie ou maryland en Europe - à le saucer copieusement avec des solutions sucrées (mélasses), puis à mettre ce gâteau sous pression et en chaleur humide. Le produit obtenu est un bloc brun sombre à noir, qui, une fois découpé, donne un tabac très sucré. Il existe de nombreuses variantes du procédé, avec ou sans aromatisation”. À la saveur de ce tabac, je suppose que le black cavendish a été obtenu à base de burley, lequel, comme le kentucky, n’est pas le tabac que je préfère.

Comment te dire adieu ?

Mon cher tabac cerbérisé, avec tes trois têtes de clone et tes belles boîtes, tu peux aller te faire fumer ailleurs ! C’est clair et sans ambage ! Il est dur de trouver de bons tabacs aromatisés et ce n’est sans doute pas chez la maison Kolhase & Kopp que l’on trouvera la perle rare. Cette dernière existe peut-être mais elle doit être sur la même étagère que l’aiguille retirée de la meule de foin. Dans le cas présent, l'aromatisation sert sans doute à masquer la qualité moyenne des tabacs. On connaissait la réputation la moindre estime pour les produits sortis de cette fabrique mais une expérience vaut le coup pour confirmer. D’autant que, au cours de cet essai, si je n’ai pas eu de morsure de la langue ni de palais en carton, un petit gonflement des gencives m’est apparu à la jonction du palais, juste derrière les incisives. Je ne voulais pas mettre en cause la fumée mais après une pause de quelques semaines et un traitement de bain de bouche qui a fait disparaître l’affection, j’ai fumé à plusieurs reprises le “Blossom Temptation”, lequel tabac n’avait pas été encore essayé. Le gonflement est réapparu ! Cela ne m’était jamais arrivé avec aucun autre tabac. Je n’en tire aucune conclusion de cause à effet pouvant être généralisé à d’autres personnes mais en ce qui me concerne, je fais comme Hercule fit à Cerbère dans l’image ci-dessous avec un swing de golf impeccable : j’envoie ces tabacs aux enfers.

Nicolas Poussin - Les bergers d’Arcadie


Source : Cerbère et Hercule, Antonio Tempesta (1606) - Musée du comté de Los Angeles*