Errances d’une volute

par Laurent M

07/01/22

Saison 18- Confessions d’un infidèle tabacophile sur les heures qu’il occupe à souffler de la fumée - None

None, où l’on parle de cuire du Capstan bleu, de fumer le gâteau latakia de Motzek et de s’adonner sans succès au triple jeu, entre autres herbes impies mais néanmoins délicieuses.

Ah ! Nous sommes déjà à None. Le temps passe vite en votre compagnie, et la mention de cette heure me plaît tant son nom me rappelle une bonne pipe avec les trois nonnes. Non, fratres ! Je vois l’effroi de vertu outragée dans vos yeux mais il n’en est rien. Je dis simplement qu’il existe un tabac nommé “Three nuns” que l'on met dans une pipe. Les mots peuvent avoir des doubles sens et honni soit qui mal y pense. Vous devriez prendre ma place, assemblée de fripons !

Capstan bleu passé au four

J’avais déjà écrit sur le Capstan. C’est un tabac courant, de tous les jours mais qui, même s’il est bon, ne porte pas aux nues. Tabac honnête de bon fumeur de pipe, sans chichi, un peu bourgeois malgré son nom maritime, mais qui ne refuse pas de s’encanailler un peu en poussant la pointe de piquant du VA. D’aucuns ont tenté de le passer au four afin de réhausser son goût et c’est donc une de ces tranches cuite qui a orné une bruyère au fin fond du vexin normand. Je me rappelais bien le goût du Capstan, revenu tout de suite en mémoire d’après cette alchimie un peu étrange du cerveau qui mémorise les goûts et les souvenirs dans de petites cases pour les faire se rappeler au bon moment. Las, la tranche passée au four n’avait pas un goût “surdimensionné”. Comme c’est la première expérience de tabac cuit que j’avais, je me demandais s’il fallait attendre un goût plus vif, comme une couleur peut être plus éclatante ou non selon le degré d’intensité de la lumière ou la dose de pigment ; ou s’il fallait s'attendre vraiment à autre chose, sorte de goût caché qui se serait révélé à la cuisson, comme l’or dans l'athanor des alchimistes. Ce que j’ai trouvé est simplement… du Capstan, ni plus ni moins. D’un tabac moyen on n’attend pas non plus des révélations extraordinaires. J’avais donc un tabac moyen passé au four, et donc, j’ai bénéficié d’un goût moyen plus prononcé. Le meilleur traitement numérique ou argentique ne rend pas une photo floue plus nette. Il faut que la composition d’origine soit bonne.

Motzek Latakia cake

J’ai eu une part de gâteau dans un petit sachet glissé par Tom Daraz dans ma dernière commande qui date de 2018. 3 ans dans un petit sachet plastique au fond de la cave. je pensais trouver un pavé durci qui se serait effrité en poudre à renifler dès le premier contact. Il n’en a rien été. Le petit pavé s’est épluché tendrement sous mes doigts, à peine asséché.

Je l’ai fumé dans une Comoy’s et dans une Missouri Meerschaum. Dans les deux cas, l’impression d’ensemble a été plus que satisfaisante. Ce tabac est d’une douceur impressionnante, pas agressif et développant un goût délicieux et équilibré. Contrairement à ce que pourrait suggérer son nom, ce cake n’est pas une lat’bomb, bien au contraire.

Le site tobacco Review relève un parfum de houblon, de malt, de cuir épicé. Je ne sais pas si cela vous évoque quelque chose mais pour ma part, j’ai rarement l’occasion de goûter du cuir épicé, sauf si la faim se fait vraiment sentir et que je dois mordiller mes caligae. Quant au malt et au houblon, frères, ils appartiennent au domaine de notre bien-aimée bibine de monastère. Bref, pour en revenir au latakia cake, Tom Daraz a composé un tabac avec des “virginias de caractère, du latakia bien mûr (20%), complétés et arrondis par du burley noisette, du perique aromatique, un peu de cavendish noir et une pincée d'orientaux”. Rien que cela. Et bien, je vais vous faire la confidence : cette recette est bien à conserver dans nos coffres. J’ai adoré ce gâteau et devrai-je succomber au péché de gourmandise que je m’en prendrais bien encore une part supplémentaire.

Motzek Latakia cake

GL Pease - Triple Play

C’était un après-midi sous le signe des “3” que j’avais passé au château de Beaumesnil, “le château de la plaine désolée”, ainsi que le nomme l’écrivain Jean de la Varende, éminent fumeur de pipe qui a beaucoup écrit sur l’Ouche, cette partie de la Normandie où mes pas m’ont mené. Trois parties, trois étages, trois colonnes de fenêtres dans chaque partie. Un équilibre délicat et enthousiasmant. J’espérais terminer cette journée dans cette même continuation avec le Triple Play, un mélange de Pease à base de dark fired Kentucky, Virginias rouges et blonds, Périque que frère Skiff m’avait passée sous le manteau pour assouvir ma passion. On en revient souvent à lui dans nos chapitres enfumés, à tel point que lorsqu’on se penche sur ses tabacs, on se murmure à voix basse “Ah, c’est le tour de Pease”, mais je m’égare en nigauderies. Un grand classique du genre, ce Triple Play, qui ne fait pas mystère de son goût et qui se présente sous forme de plug. J’en ai tout de suite fait une triple pipe : petit fourneau Dunhill, Castello Sea Rock bien habituée aux VA, Eltang Basic. Le tabac que j’avais eu avait légèrement séché mais est resté souple sous les doigts et le bourrage s’est fait sans coup férir. Tout de suite, à l’allumage de la Dunhill, le goût m’a déplu. Je n’ai pas ressenti cette tonalité de noisette et de fruits secs qui est si appréciable dans les VA. Non plus que cet aspect sucré qui ressort des VA. Pas vraiment de douceur, de rondeur, de caresse. Cela a été tout de suite une sorte d’amertume astringente qui me rapprochait du goût de la Suze. Assez étrange pour un tabac.

Le fumage s’est déroulé sans aucun problème mais attention. La nicotine est assez élevée et, chose étrange également, alors même que les effets de ce poison se dissipent rapidement avec d'autres, avec le Triple Play, il y a un effet de persistance de plusieurs heures. Je ne m’attendais pas à cela et cela perturbe un peu les méninges !

Et c’est donc en me remémorant ces passages fumeux que je vous propose de faire une petite pause. Ah, ces trois nonnes, ou quatre, je ne sais plus ! A défaut de les passer au four, peut-être à la casserole, non ? Mais je m’égare à nouveau en idioties, vieux cénobite que je suis ! Je cesse donc mes chattemites et m’en vais faire mes oraisons jaculatoires.

trois nonnes


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