Errances d’une volute

par Laurent M

18/10/21

Saison 15 - Confessions d’un infidèle tabacophile sur les heures qu’il occupe à souffler de la fumée - Prime

Prime, où l’on parle de 140 ans Savinelli, Wolway Basma et Langue de chien, entre autres herbes impies mais néanmoins délicieuses.

Ah ! Fratres, qu’il est donc bon de reprendre le cours de cet entretien car tout en confessant mes infidélités, je revis en les narrant les extases et les étonnements que ces herbes m’ont procurées. Bien sûr, ce n’est pas me vautrer dans le péché et me complaire au vice qui me pousse à vous dire tout ceci mais surtout pour vous souffler combien ces herbes sont bonnes, comme toute herbe donnée par le Créateur, et aussi la main du blender car, il faut l’avouer, leur consommation nous porte, tout comme les volutes d’encens, vers des cieux d’extase. Allons, continuons.

140 ans Savinelli

140 ans Savinelli

À l'ouverture de l'enveloppe fournie par frère Gaëtan, c'est un joli produit coupé finement qui apparaît dans sa robe couleur de feuille morte, assez uniforme. Déjà, ce n'est pas une surprise car de nombreux tabacs ont à peu près le même aspect. On ne va pas s’extasier pour si peu. De même pour l'odeur qui est faite pour plaire à tous et j’aurais eu plaisir à le partager au sein de notre chapître pipier s’il n’y en avait pas eu si peu. Je suis sûr, dévoués frères pipophiles de l’OSB (Ordre de la Sainte Bruyère), que la frêle odeur qui se dégage de ce tabac aurait convenu à tous les tempéraments. L'odeur de citron est très peu perceptible pour moi, l'oriental et le turkish sont faibles mais l'ensemble est doux aux narines.

Ce fut le tabac d'inauguration de ma nouvelle pipe, une Minoru Nagata au fourneau conique. Le bourrage est très facile et c'est finalement assez plaisant de retrouver ces fins rubans car cela faisait de très longues semaines que je triturais des flakes, malaxait des cubes et découpais des ropes rustiques. Là, dévoués fumeurs, c'est chose qui vire à la mollesse et qui porterait le fumeur à ne plus même penser qu’il fume, comme tirer une cigarette après l’autre, si j’ose prendre une si forte image de la perversion, que Sainte Nicotine nous protège tous ! Oui, vraiment, du truc de fainéant car ça tombe dans le fourneau tout seul. Et cela s'allume tout seul aussi, comme le Buisson Ardent du désert, mais avec la petite aide humaine d’un boutefeu de poche. Les premières impressions sont bonnes, le goût est doux mais pas trop. Pas d'acidité, d'arrière-goût désagréable. C'est un tabac plaisant qui peut convenir à tous comme tabac quotidien, ainsi que je l’ai dit. Le fumage se fait sans difficulté. J'ai fait le test en extérieur par une température de 3°C. Peut-être les odeurs seraient-elles renforcées en intérieur par une température plus élevée.
Alors bien entendu, les frères et sœurs qui s'attendent à un tabac d'exception à décoller les papilles et à faire grimper au rideau en seront pour leurs frais. Toutefois, derrière l'apparente banalité d'un "all-day-smoke", comme l’on dit en Albion, se cache le portrait d'un mélange bien balancé, honnête et franc, qui ne demande qu'à faire bonne compagnie au fumeur. Et rien que ça, c'est déjà un bon programme.

Wolfway Basma

Vif remerciement à toi, frère François, pour cet échantillon. J'avoue que mon intérêt a été piqué du fait que ce tabac n'était disponible nulle part ailleurs et ne sera d'ailleurs plus disponible du tout. Et c'est grand dommage. J’ai fumé ces herbes avec la conscience que ce moment serait unique et que ma pauvre mémoire aurait du mal à revivre à nouveau son goût discret mais prégnant, loin des aromatisations, des effets de manche, des couleurs fauves de certains autres. L'aspect oriental ne m'a pas bien frappé mais sans doute est-ce dû au fait que je ne fume que rarement des "orientaux", étant plus porté sur le goût anglais. Si oriental il est, il offre une grande douceur de goût, douceâtre diraient certains.

Pourtant, à l'ouverture, ce n'était pas gagné. Déjà, j'imaginais un tabac plus foncé alors qu'il offre une couleur de paille jaune pâle assez homogène. Puis, à l'ouverture du sachet, une odeur de "foin pourri" m'a tout suite sautée au nez. Là, je me suis imaginé m'aventurer dans des contrées un peu exotiques mais c'est comme le fromage : il ne faut pas se fier à l'odeur. J'ai fait le test dans un grand fourneau d'une billard Morel (que Saint Claude veille sur lui). Si l'allumage est aisé, les premières impressions n'ont pas été très bonnes. Il y avait de l'acidité, une force sous-jacente un peu redoutable mais en même temps un caractère molletonneux indiquant que les rodomontades du début allaient se calmer bien vite. Effectivement, au bout de quelques minutes, c'est cette douceur qui a pris le pas et qui s'est laissée oublier durant le temps de ma méditation ambulatoire. C'est là, du fait qu'il ne s'éteint pas facilement, se laisse oublier, que l'on peut constater que c'est un tabac agréable, pour tous les jours. Je ne dirais pas que c'est un summum du goût mais dans ce type de famille du tabac tranquillet et peinard, il tire bien son épingle du jeu. Du moins, il tirait bien son épingle du jeu, hélas.

La langue de chien

semois langue de chien

Le Semois (que j’écris à tort ou à raison avec une majuscule, comme la très belle rivière éponyme) est un tabac très classe avec ce petit goût terrien et champêtre si apprécié de certains et détesté par d'autres. Encore faut-il que le goût transporte l’imaginaire et que le parfum soit présent. C’est là que le bât blesse et que j’ai reçu le châtiment pour mes égarements… Et ce ne sera pas le dernier tant mes égarements furent nombreux. Avec la “Langue de chien”, mon odorat et mon palais sont à la peine. Rien de transcendant, rien de magique, juste un goût franc d’un tabac qui pointe sur le goût français sans jamais y mettre franchement les pieds, gardant un bout de semelle en Ardennes belge, si ravissantes par ailleurs et si semées d’abbayes pourvoyeuses de bonnes bières. Je ne connaissais pas les tabacs de la maison Martin, étant plus sur les produits Couvert et Manil. Resterait, chez Martin, à me faire découvrir le Vieux Bohan mais d’emblée, l’idée qu’il ressemblerait à la langue du canidé me refroidit un peu les ardeurs.

Offrons-nous quelques méditations pipières avant de poursuivre.

reverend in rythm


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