L’idée de publier une série d’articles sur l’histoire et la datation des pipes, surtout des pipes anglaises, me trottait dans la tête depuis longtemps. Je me suis finalement décidé d’aborder ce sujet en traitant de la marque la plus difficile… pardon, de la plus simple à dater.
Je dis facile et difficile à la fois pour la simple raison que CHARATAN, durant ses évolutions et changements, a laissé des signes sans équivoques sur ses pipes. Il y a tellement peu d’équivoques, que la datation en soit ne présente pas de problèmes majeurs. La vraie difficulté réside dans la capacité à reconnaître les différentes périodes de la marque, et elles sont nombreuses, suscitant souvent le doute auprès des collectionneurs. Les divers articles parus dans la presse spécialisée ou sur le Web n’ont pas été d’une grande aide car ils sont souvent incomplets ou contradictoires, créant encore plus de confusion auprès des passionnés. Avec cet article je vais tenter de clarifier la situation et fournir ainsi un outil utile aux passionnés des pipes CHARATAN.
J’avais lu dans le passé de nombreux articles sur la datation des CHARATAN. Je me souviens avoir vu il y a quelques années un beau site Internet qui comportait également des photos pour illustrer le propos. Malheureusement je n’ai pas réussi à retrouver ce site. J’ai également lu l’article de Tad GAGE dans le revue Pipes and Tobaccos (Volume 7, Number 4, Winter 2003), pages 36 à 46, j’ai lu les notes de Madame Ivy RYAN, le livre "The Ultimate Pipe Book" de Richard CARLETON HACKER, le livre "Tewnty Catalogs from Five English Pipe Makers" de John C. LORING, la revue Tobacco Magazine et divers documents privés.
L’étincelle de l’inspiration se produisit il y a quelques années, lorsque de passage chez Mario LUBINSKI, je vis qu’il avait fait l’acquisition d’un stock considérable de pipes CHARATAN dans lequel se trouvaient des pipes de toutes les époques de cette marque. Je décidai alors d’en profiter et d’en prendre un certain nombre. J’ai passé plusieurs journées à visionner toutes les pipes, dans l’intention d’en acheter des exemplaires de chaque époque. L’étude fut menée de manière sérieuse et j’appris à distinguer les plus petites particularités d’une pipe à une autre. Je compris bien vite que les articles et livres cités ci-dessus n’étaient pas complets et présentaient des petites incongruités et contradictions.
Je m’aperçus qu’il y avait une multitude de petits détails qui permettaient de faire la distinction (dans les inscriptions, les formes, la qualité de la bruyère, etc.) et qui n’étaient mentionnés dans aucun article ou livre. Je me rendis surtout compte que CHARATAN n’a jamais été une entreprise qui ressemble aux autres "british". La comparaison la plus immédiate peut se faire avec DUNHILL qui a toujours produit des pipes qui se caractérisent par une recherche quasi manique de la constance des résultats et du contrôle de qualité.
CHARATAN semblait différent. Les divers gestionnaires ont voulu donner à la marque une "empreinte" particulière en confiant la création de leurs modèles à des "master carvers" à la forte personnalité, et cela jusque dans les années 80. Il en résulte une production hétérogène, un peu comme s’il s’agissait d’un ensemble de pipes artisanales et donc très différentes entre-elles.
En effet, l’année de la cession de CHARATAN à DUNHILL, beaucoup de ces maîtres pipiers décidèrent de quitter l’entreprise et de tenter l’aventure à leur propre compte.
De Kenneth BARNES à Barry JONES qui se lancèrent dans une nouvelle aventure avec la Tilshead Pipe Co., à Dennis MARSHALL qui avec son fils John fonda la Millville, nous retrouvons une série de grands maîtres pipiers, anciens salariés de CHARATAN, sans oublier le moins connu mais oh combien important Dan TENNISON.
Inutile de préciser que le caractère affirmé de tels personnages, déjà à l’époque CHARATAN, les a conduits à marquer les pipes qu’ils fabriquaient de quelques signes distinctifs. I contacté le plus possible de ces personnages pour en apprendre le plus possible.
Le défi des collectionneurs et amateurs actuels de CHARATAN n’est pas tant la datation des pipes (vous l’aurez compris, cela n’est pas si difficile une fois que l’on a identifié "l’ère" à laquelle appartient une pipe) mais bien de reconnaître quel maître pipier en est l’auteur.
Sur le marché des collectionneurs, une CHARATAN / Barry JONES vaut de "l’or".
Je voudrai faire de cet article une sorte d’instrument évolutif que je complèterai au fur et à mesure. Il est également dans mon intention de publier de nombreuses photos des modèles freehand de la marque, accompagnées de tous les indices permettant de reconnaître le travail des différents "master carvers" (pour autant que ce soit possible dans le contexte virtuel d’un site Internet. L’idéal serait de pouvoir faire cela avec de vraies pipes…).
D’autres annotations peuvent être faites sur l’indentification des "micro-détails" qui peuvent révéler des changements à l’intérieur d’une même époque. Comprendre la différence entre les pipes faites par Mansell STREET, Prescott STREET ou Grosvenor STREET est un défi passionnant de même que de pouvoir différencier une pipe gravée du £ de LANE de la période 1955-1960 (quand Lane était un simple importateur pour les USA) d’une pipe marquée du même £ mais appartenant à la période successive (quand LANE devient propriétaire de la marque).
Le défi le plus intéressant reste l’étude de la dernière période de la marque. Période pour laquelle il n’y a pratiquement aucune documentation même si à l’étude l’on peut distinguer 4 phases bien distinctes.
Cela début avec l’ère DUNHILL de 1977 à 1981 durant laquelle la fabrication des pipes est faite dans l’usine de Grosvenor Street. Deuxième phase, de 1982 à 1987 durant laquelle la production est confiée à Parker-Hardcastle, situé à Forest Road – Walthamstow. Suite une troisième période, 1988 à 2000 (environ) pendant laquelle la fabrication est déplacée chez RUSSEL en France. A partir de 2000 débute une nouvelle ère DUNHILL et un retour à une qualité supérieure de la production de pipes.
Il est curieux de noter que pratiquement rien n’est dit ou écrit sur la période 1988 – 2000, simplement appelée "phase française".
Encore moins d’informations existent sur la "renaissance" de la marque à partir de 2000 et du fait que la production des CHARATAN a probablement été confiée à Colin FROMM de INVICTA PIPES, société rachetée par DUNHILL justement pour ce projet de relance de la marque. L’usine INVICTA PIPES se situe à Chatham.
CHARATAN a été fondée par Frederick CHARATAN à Londres en 1863. M. CHARATAN était un immigré plein d’aspirations qui voulut tout de suite créer un produit haut de gamme. La production de Frederick CHARATAN, qu’il serait plus opportun d’appeler Charatan’s Make (et non simplement CHARATAN) débuta dans un petit atelier de Mansell Street à Londres, puis à Prescott Street. Cette première phase dura jusqu’en 1910 avec la transmission de l’entreprise au fils de Frederick, Reuben CHARATAN.
Reuben CHARATAN poursuivit durant des années le travail de son père, produisant des pipes de très grande qualité. Reuben CHARATAN perfectionna encore la qualité des pipes qui étaient pourtant déjà considérées comme une référence de qualité. L’atelier fut de nouveau déplacé, cette fois à Grosvenor Street.
En 1960 Reuben CHARATAN décéda et sa femme pris la décision de vendre l’entreprise. CHARATAN fut acheté par LANE LIMITED qui décida dans un premier temps de ne rien changer, tant pour les méthodes de production que pour le personnel. La seule innovation fut l’introduction du fameux Double Comfort.
En 1965 débutèrent les premiers changements significatifs suite au rachat par LANE LIMITED de la marque BEN WADE et des machines utilisées chez Ben Wade. En réalité l’acquisition ne portait que sur certaines machines, l’usine Ben Wade située à Leeds avait été détruite durant la deuxième Guerre Mondiale.
Vers juin 1976 la société LANE LIMITED fut rachetée par DUNHILL. A la suite de ce rachat par DUNHILL, des changements importants sont intervenus. En 1982 DUNHILL décidé de fermer l’usine historique de CHARATAN de Grosvenor Street.
A partir de cette date les pipe CHARATAN furent produites par DUNHILL à l’usine de Parker-Hardcastle a Forest Road - Walthamstow.
Il est important de mentionner ici la rue où se trouve l’usine Parker-Hardcastle (Forest Road) qui produit les pipes CHARATAN, pour bien la distinguer du site de production des DUNHILL, situé lui aussi à Walthamstow, mais au 32 St. Andrews Road.
En 1988 DUNHILL céda les CHARATAN à J.B. RUSSELL. La production des CHARATAN fut déplacée en France. Ce fut le début de la période dite "période obscure", qui dura jusqu’en 2000.
Le dernier changement se produisit début 2000, quand CHARATAN fut repris par DUNHILL. La production fut confiée à Parker-Hardcastle pour quelques mois, puis assurée par Colin FROMM, dans l’usine Invicta située à Chatham.
Dans une récente interview, Marc BURROWS, directeur du magasin DUNHILL, Jermyn Street à Londres, a laissé entendre que "les CHARATAN actuelles (produits après 2003) sont d’une qualité supérieure aux pipes de la première ère Lane".
A tout cela, il faut ajouter le "cas" Barry JONES.
Barry JONES a débuté sont aventure pipière chez CHARATAN dans les années 50, en se présentant chez Reuben Charatan. Après son apprentissage dans le département étuvage et traitement de la bruyère, il fut initié à la réalisation des pipes par Reuben Charatan lui-même, qui appréciait beaucoup les idées de Barry Jones.
Barry Jones appris rapidement le métier et devint "master carver" chez CHARATAN et fut le principal artisan des freehands de cette période. Il donna une touche "danish-like" à beaucoup de ses créations et resta chez CHARATAN bien après le décès de Reuben. Barry Jones quitta l’entreprise en 1977, probablement à la suite du rachat par DUNHILL de Lane Ltd. Barry Jones poursuivit son aventure pipière avec Upshall, puis avec Tilshead Pipe Co. Où il retrouva Kenneth Barnes, l’ex-directeur de CHARATAN.
Beaucoup de collectionneurs considèrent que les créations de Barry Jones chez CHARATAN ont marqué l’apogée de la marque. Certaines CHARATAN de la période 1955-1977 sont à ce titre vues comme l’expression la plus aboutie de la marque.
Certains collectionneurs considèrent comme avéré qu’après 1965 (date d’acquisition de Ben Wade), certaines pipes marquées Ben Wade et CHARATAN provenaient dans les faits de l’atelier danois de Preben Holm. Cela donne encore plus de valeur aux quelques fournées de freehands produites par Barry Jones et considérées de véritables joyaux.
Barry Jones donna encore durant sa période d’activité chez CHARATAN des informations détaillées sur la façon de reconnaître ses créations marquées Charatan, suscitant un grand intérêt auprès des collectionneurs les plus en vue.
Pour faire une datation correcte des CHARATAN, nous devons connaître les diverses périodes de la marque et vérifier si les signes distinctifs qui caractérisent une période donnée sont présents sur la pipe que nous observons.
L’étude de l’histoire de la marque et l’observation précise des pipes produites depuis 1863, permet d’établir le classement suivant :
Il faut également faire la distinction des différents modes de production, donc aussi de qualité. Le classement suivant peut être fait :
Il faut préciser que dans la seconde période Lane, suite à l’acquisition de Ben Wade, Lane Ltd. installa les machines récupérées chez Ben Wade dans l’usine CHARATAN, révolutionnant en partie la production des pipes, surtout pour les séries d’entrée de gamme. Par ailleurs, certaines gammes de pipes furent sous-traitées à d’autres sociétés. Beaucoup de ces pipes furent commercialisées sous la marque Ben Wade. Cela dit, il y a eu à n’en pas douter des pipes marquées CHARATAN qui furent produites par des sous-traitants, notamment Preben Holm, ou encore Willmer.
Je pars du principe que la pipe examinée est muni de son tuyau d’origine. Si le tuyau ou la lentille ont été refaits ou changés, la datation peu se révéler nettement plus difficile.
La première chose à faire, pour dater une CHARATAN, sera de bien observer certains points précis de la pipe :
L’observation de ces points permet de faire les distinctions suivantes :
Je tiens à préciser que ces pipes sont rares, il est assez peu probable de se trouver en présence d’un tel exemplaire. Ces pipes ne peuvent par ailleurs être distinguées de celles de la seconde période uniquement par les caractéristiques des modèles qui, pour 99% de la production sont de petite taille.
Exemple de pipe de la période Frederick
Les pipes de cette période sont rares, mais pas introuvables. Elles se différencient de celles de la première période surtout par une augmentation des dimensions.
Les caractéristiques de ces pipes sont proches de celles de la période précédente :
Durant cette période fut présentée la série "Underboar", une ligne de pipes construites de 1920 a 1930 (approximatif). Cette série bénéficiait d’un catalogue à part, d’un sigle particulier sur le tuyau et avaient la particularité de comporter un élément métallique dans la tige pour un fumage jugé plus sec et plus frais.
Exemple de pipe de la période Reuben
Exemple d’écriture Charatan’s Make
Exemple d’une pipe Underboar
Les pipes de cette période sont assez courantes.
Exemple d’une pipe de la première période Lane
Charatan’s Make
MADE BY HAND
N° de shape suivi de DC
Le £ de Lane Ltd
Les pipes de cette période sont assez courantes. Leurs caractéristiques sont similaires aux pipes de la période précédente. L’élément distinctif est le changement de l’inscription sur la tige, qui passe de 2 à 3 lignes.
Il est à noter que cette période présente d’assez incohérences, dues à l’utilisation des machines achetées à Ben Wade ainsi qu’à la sous-traitance à diverses sociétés, parmi lesquelles Preben Holm et Willmer.
Durant cette période il est possible de trouver des freehands de type danois estampillées CP et £. Cette période se caractérise par beaucoup d’incertitudes et une certaine inconstance.
Cette période où la traditionnelle rigueur du "british style" fur quelque peu malmenée, n’a certainement pas été très facile pour la marque CHARATAN.
Une pipe de la seconde période Lane
Made By Hand in City of London
Cette période assez chaotique qui a mené au rachat de Lane Ltd. par Dunhill, dans le milieu de l’année 1976 est assez bien documentée. A titre de curiosité, j’ajoute ci-dessous une lettre du 26 mars 1973 de laquelle ressort assez bien la situation de CHARATAN.
Dunhill achète Lane Ltd. en avril 1976. Le début exact de cette première période Dunhill devrait donc se situer à cette date. Il a fallu plusieurs mois pour mettre que les changements fait par Dunhill. Pour plus de facilité, je situe donc le début de la première période Dunhill en 1977.
Les caractéristiques des pipes restent semblables à la précédente période, sauf en ce qui concerne le "£" qui disparaît des pipes fin 1980.
Durant cette première période, Dunhill ne change ni le site de production ni les méthodes de fabrication. Dunhill se limite à étudier les changements qui seront mis en place ultérieurement. La véritable révolution se produira en 1982.
Il est encore possible de trouver quelques pipes de la "vieille tribu". Il faut pour cela faire attention du "DC" qui, lorsqu’il est ajouté (à une plus vieille pipe) se trouve souvent désaxé par rapport au N° de shape. Le série Belvedere est également vendue dans une sélection spéciale, sous une autre marque : Chippendale, réservé à Tinderbox.
Exemples d’inscriptions de pipes "re-marquées".
Re-marquage bien visible à la position du DC
D’après un rapport du "US Tobacco Journal", avril 1976
Exemples de pipes marquées Chippendale
Cette période se caractérise par une première grande révolution.
Dunhill décide de fermer l’usine Charatan de Grosvenor Street et de déplacer la production vers le site de Parker-Hardcastle (East London).
Les pipes de cette période se caractérisent de la manière suivante :
Modification du "CP"
Précision importante
Je comprends parfaitement que ma classification de la production des Charatan en nombreuses périodes puisse susciter des "résistances" de la part de ceux habitués à penser les Charatan de manière plus synthétique (mais aussi de façon nettement plus approximative). C’est pourquoi je vais étayer notamment les dernières périodes de la marque, souvent mal traitées et improprement étiquetées comme "période française". Il est notamment important pour les personnes qui voudraient acquérir des pipes de cette période de tenir compte de ces subdivisions. Je suis particulièrement fier de ce travail que je crois représenter une première au niveau international.
Je vais tout de suite faire état d’un extrait d’un journal spécialisé de 1982 dans lequel il est fait mention de la décision de Dunhill de déplacer la production des Charatan chez Parker – Hardcastle. Inutile de répéter que cet événement a été de première importance pour la marque Charatan (je dirai un des événements les plus importants). Il n’y avait donc pour moi pas d’autre choix que de diviser la "période Dunhill" en deux. Toute autre approche ne peut se prétendre exhaustive.
Cette période se distingue par une deuxième révolution.
Dunhill vend Charatan à J.B. Russel. La production sera déplacée d’Angleterre en France.
Les caractéristiques de cette période sont les suivantes :
Le marquage "CP"
CHARATAN of London
Il n’est pas rare de rencontrer l’indication France sur le tuyau
- à suivre -
Comme vous l’aurez noté, j’ai décidé de mettre à jour cet article et de le publier à chaque petit ajout. Je poursuis naturellement mon travail pour enrichir cette étude avec des exemples et photos pertinentes. Je complèterai bientôt les sections manquantes. J’espère aboutir à terme à un travail intéressant et exhaustif.
A bientôt
Fabio Ferrara