Le champion du champignon

par Erwin Van Hove

23/03/20

A l'heure où j'entame cet article, le dernier Font-ils un tabac ? publié sur le site est le numéro 103. S'il a été mis en ligne le 24 février dernier, sa rédaction date d'octobre 2019. Cela s'explique par le fait que Guillaume Laffly dispose toujours d'une petite réserve de mes textes qu'il incorpore aux mises à jour bimensuelles du site quand bon lui semble. Tenez, en ce moment, c'est-à-dire au mois de mars, je suis en train de rédiger le numéro 111. Ces derniers mois, j'ai donc dégusté deux douzaines de mélanges dont les revues n'ont pas encore été rendues publiques.

Huit de ces blends testés sont de la main de Thomas Darasz que je ne dois plus vous présenter puisque depuis qu'il a repris en 2016 le célèbre commerce de monsieur Motzek à Kiel, j'ai partagé avec vous mes impressions sur une vingtaine de ses créations. On ne pourra donc pas me reprocher que ce qui va suivre soit un amalgame de préjugés ou un jugement à l'emporte-pièce. En vérité, ce que j'ai à vous dire me peine et me désole. Parce que je suis convaincu que Thomas Darasz est un blender de talent qui sort de l'ordinaire et qui plus d'une fois a réussi à me combler. Parmi les huit mélanges que j'ai dégustés dernièrement, il y en a même un que je considère comme un véritable chef-d'œuvre.

Mais il y a le revers de la médaille. Mes expériences m'amènent à conclure que les tabacs TAK ont de sérieux problèmes. Tellement sérieux que j'ai décidé de ne plus en commander et de consommer mon stock au plus vite. Avant qu'il ne soit trop tard.

Parmi les huit blends testés au cours des derniers mois, deux m'ont profondément déçu. Et pas pour des raisons subjectives : ce n'était nullement une question de goût personnel. Non, il était objectivement indéniable que ces deux tabacs étaient plats, fatigués, pour ne pas dire moribonds. Ils me rappelaient des vins qui depuis belle lurette ont passé leur apogée. D'accord, ça peut arriver quand on conserve un tabac pendant une période déraisonnablement longue. Mais les deux mélanges avaient été stockés dans des conditions assez idéales entre six et huit mois seulement. Je dis bien mois et pas années.

Ce phénomène me semblait tellement incroyable que je commençais à me méfier de mes propres papilles. Jusqu'au jour où en parcourant Tobaccoreviews, j'ai constaté que certains mélanges TAK que j'avais achetés pour la bonne raison qu'ils avaient fait l'objet de revues dithyrambiques et d'excellents scores, soudain n'affichaient plus que deux étoiles. Et pas parce des avis défavorables de nouveaux dégustateurs avaient eu un impact négatif sur le score global. La raison était autrement plus inquiétante…

Connaissez-vous Deniz Beck ? C'est le pipophile allemand qui était le premier à écrire des reviews sur toute une série de tabacs TAK et à en parler dans des termes plus qu'élogieux. Or, voici que ce fan pur et dur s'est mis à se raviser, à dramatiquement baisser les scores d'une demi-douzaine de mélanges TAK que précédemment il avait portés aux nues et à systématiquement rajouter à ses textes une mise en garde claire et nette. Dans ces addenda, Deniz Beck nous prévient que ces tabacs perdent leur équilibre et leurs saveurs au point de devenir méconnaissables quand ils sont conservés au-delà de quatre mois. Voilà que les expériences d'un autre dégustateur qui connaît bien les tabacs de Thomas Darasz, recoupent fidèlement les miennes. Il n'y a donc plus de doute. Houston, we have a problem.

Malheureusement, ce n'est pas le seul problème. Il y a pire. Il suffit de regarder les images. Vous en conviendrez avec moi : ça, c'est l'horreur totale.

TAK Kieler Freu(n)de Alte Hasen

Kieler Freu(n)de Alte Hasen

TAK Hallo Twist

Hallo Twist

TAK Sektor(A) Plug

Sektor(A) Plug


Ces trois tabacs ont été conservés pendant quelques mois seulement dans un environnement sec et dans des récipients préalablement lavés à l'eau bouillante. Je précise par ailleurs que tous mes tabacs sont stockés dans le même endroit, que la plupart des mélanges y séjournent depuis des années, voire depuis plus d'une décennie et que jamais, mais alors jamais je n'ai été confronté à un problème de moisissure.

Comment se fait-il alors que les plugs et les twists de Thomas Darasz se transforment systématiquement en champignonnières ? Il faut savoir que le problème n'est pas nouveau. Farouchement opposé à l'emploi de tout produit chimique, le blender allemand a toujours refusé de traiter ses tabacs au fongicide. Cette attitude à première vue ambitieuse et louable s'est avérée naïve. Déjà en 2017, donc aux tout débuts de sa carrière, Darasz a dû retirer du marché certains twists suite aux plaintes de ses clients. Le blender a alors décidé de remédier au problème des moisissures en diminuant le degré d'humidité des tabacs et en augmentant leur taux de sel. Trois ans plus tard, mes photos prouvent que cette méthode ne fonctionne pas.

Que le problème subsiste est fort regrettable en soi. Mais ce qui me gêne plus encore, c'est la désinvolture avec laquelle Thomas Darasz traite sa clientèle.

A deux reprises j'ai envoyé au blender des photos d'un mélange moisi et à deux reprises, il m'a répondu qu'il remplacerait le tabac avarié à ma prochaine commande. Je trouve cette pratique peu conviviale dans la mesure où elle oblige le client à dépenser à nouveau de l'argent afin d'obtenir ce qui lui est dû. Pas très élégant, ça. Ceci dit, je dois préciser que la première fois que Thomas Darasz m'a fait cette réponse, je lui ai fait savoir qu'il n'était pas du tout certain que je lui passe encore commande. Il n'a plus réagi, mais quelques semaines plus tard un colis contenant un nouveau morceau de Alte Hasen est arrivé à mon domicile. La deuxième fois, sa réponse à mon courriel contenait une phrase qui m'a abasourdi : Please note that plugs and twists have to be vented again and again so that mold does not develop. Notez s'il vous plaît que des plugs et des twists doivent être aérés encore et encore afin d'éviter le développement des moisissures. Ah bon.

Oui, cette phrase qui semble s'ériger en dogme, m'étonne et me choque. Elle m'étonne parce qu'à ma connaissance strictement aucun autre producteur de plugs et de twists ne recommande d'aérer continuellement ses produits. D'ailleurs, pourquoi devraient-ils nous donner cette consigne ? Leur plugs et twists à eux, qu'ils soient livrés en vrac ou conditionnés en boîtes, se conservent et se bonifient sans aération. Force m'est donc de conclure que Darasz aurait dû écrire : Please note that MY plugs and MY twists have to be vented again and again. Mais si c'est le cas, je suis choqué. Parce que si le blender sait parfaitement que ses tabacs ont besoin d'être aérés pour prévenir le développement de champignons, pourquoi ne l'annonce-t-il pas clairement afin d'éviter à ses clients de frustrants déboires ? Il pourrait le mentionner dans les descriptions des tabacs sur son site. Il pourrait glisser une petite notice dans les ziplocks qu'il envoie. Bref, il pourrait nous prévenir. Il préfère se taire.

Et puis, je ne vous cache pas que sa fameuse phrase qui se présente comme une vérité connue de tous, me choque pour une autre raison. Elle suggère que le problème des champignons est dû à l'ignorance du client. Elle insinue que si le consommateur ne sait même pas qu'il faut aérer continuellement des plugs et des twists, non seulement ce consommateur est un tantinet con sur les bords, il aura également cherché les problèmes. Je trouve ça fort.

Pour terminer, je me permets d'attirer votre attention sur le fait que la consigne de Thomas Darasz va à l'encontre d'un principe fondamental de la conservation du tabac. A l'époque où j'entretenais une correspondance par courriel avec Greg Pease, le blender m'a plusieurs fois mis en garde contre l'envie de surveiller l'évolution de tabacs destinés à l'encavement en ouvrant les boîtes ou les bocaux dans lesquels ils sont conservés. Pease était clair et net sur ce point : Aging is an amazingly complex medley of carefully choreographed chemical and microbial dances. But, the bottom line is, when you open the tin, it's over. Other changes will take place, but it's never going to be the same again. Ou encore : Once these aging processes are well under way, the introduction of fresh air can, and will, change things dramatically.

Bref, Greg Pease affirme avec aplomb que l'aération compromet dramatiquement le vieillissement et la bonification du tabac et que, dès lors, la qualité finale d'un tabac mis en contact avec l'air frais au cours de son encavement sera toujours inférieure à celle d'un tabac conservé en milieu clos. La recommandation de Thomas Darasz est donc un très mauvais conseil.

Des mélanges qui perdent leur équilibre et leurs saveurs après quelques mois. Des twists et des plugs qui moisissent à vue d'œil. Une attitude tout sauf exemplaire envers les clients dupés. Une absence totale de mise en garde pour prévenir les problèmes. Une recommandation qui compromet le vieillissement harmonieux du tabac. Trop, c'est trop. Pour moi en tout cas. Je finirai sans tarder mon stock de tabacs TAK et puis basta. Il est dorénavant exclu que je passe encore commande sur /dein-tabak.de/de. L'achat de tabacs est supposé être une fête, pas une source d'inquiétudes, de déceptions et de frustrations.