Balkan Passion

par Renzo

18/11/11

Parler d’un tabac n’est pas chose facile. Tous ceux qui s’y sont essayés l’ont constaté.

Quoi de plus subjectif et personnel que les perceptions gustatives ? Peut-être les impressions que l’on retire de la contemplation d’un tableau, les émotions ressenties en écoutant un morceau de musique ?

« Question de goût ». Ce sera le leitmotiv de mes élucubrations tabagiques présentes et futures. Une façon d’attirer votre attention sur le caractère purement personnel de mes observations. Une fois cette subjectivité posée, je me sens plus libre de parler de mes impressions de simple fumeur de pipe, car parler d’un tabac, c’est avant tout un plaisir, une façon de partager et avec un peu de chance de faire découvrir certaines facettes de nos herbes favorites, sans prétention.

Balkan Passion

Plusieurs FdP ont goûté et je crois apprécié ce mélange de Hans Wiedemann. Pour ma part j’ai au départ été dérouté par ce blend qui bouleversait les quelques repères que j’avais en matière de mélanges du type « Balkan ». Les premières pipes m’ont presque déçu. Je sentais bien qu’il y avait une matière intéressante, des tabacs de qualité, mais je n’arrivais pas à comprendre ce tabac, à en découvrir les facettes cachées.

L’ouverture de la boite fut la première surprise. Vous avez tous déjà déballé un cake anglais, n’est-ce pas ? Cake anglais, telle fut ma première impression. Arômes agréables de fruits secs, de pâte d’amande, de caramel et de chocolat noir, avec une discrète note fumée. Le jeu combiné des Virginia doux et du Perique avec des orientaux veloutés doivent être responsables de ce tableau aromatique carrément pâtissier. Agréable, certes, mais ce n’était pas exactement ce à quoi je m’attendais en ouvrant une boite portant la mention « Balkan Passion ».

Lors des premiers fumages j’étais déconcerté par un début très discret, une attaque douce et légèrement fumée, mais rien de convaincant ne semblait devoir se produire. Il m’a fallu du temps, en variant les pipes, pour réussir à décoder ce mélange, à en percevoir le réel intérêt.

Mais en fin de compte le bougre a fini par se livrer. Et le jeu en vaut la chandelle. Le Balkan Passion est un mélange très évolutif, surprenant, qui change de personnalité selon la pipe et la disposition du moment. Si j’ai toujours autant de mal à classer ce blend dans les « Balkans », je le considère comme un assemblage parfaitement réussi, nourrissant et extraordinairement évolutif. Que l’on trouve la pipe qui lui convient et c’est un feu d’artifice, discret au départ, Hans en bon artificier y a mis les ingrédients qui préparent un spectacle captivant, avec un bouquet final digne du grand air de la diva.

En fin de compte, le Balkan Passion est un tabac qui demande au fumeur un réel effort de compréhension et de recherche avant de se laisser feuilleter comme un bel album. Autrement dit, exactement ce que le tabac peut offrir de mieux au fumeur de pipe qui prend le temps d’écouter l’histoire racontée par des arômes et des saveurs qui se combinent et se recombinent au fil du fumage pour sans cesse recomposer un paysage gustatif des plus satisfaisants.

Je pense qu’il est recommandable d’encaver quelques boites de Balkan Passion et d’en observer l’évolution au fils des années. Il se pourrait que le temps passant ce blend de Hans Wiedemann nous réserve d’autres belles surprises.

Je vous livre ci-dessous quelques notes prises au cours de mes fumages, avec différentes pipes. Une excellente fumeuse comme la David Enrique Liverpool, fantastique avec certains mélanges, ne m’a pas permis de réellement prendre du plaisir avec le Balkan Passion. D’autres pipes ont donné des résultats très changeants, avec parfois de belles surprises. C’est dans une freehand de Roland Schwarz que j’ai assisté à un spectacle complet, véritable chorégraphie d’arômes et de sensations.

Corn cob « General »

Allumage : attaque douce et fumée. Pas d’arômes identifiables.
1er tiers : toujours doux, avec des arômes de pâte d’amande, de gâteau, légère touche fumée.
Milieu de bol : RAS
Fin de bol : le caractère « balkanique » du blend se révèle un peu plus. La douceur est plus discrète, les arômes de pâte d’amande et de gâteau s’effacent au profit du Latakia et des orientaux. L’épice du Latakia et des orientaux se manifeste, encens- résine. Clôture en beauté.

David Enrique - Liverpool

Allumage : douceur discrète, note fumée à peine perceptible
1er tiers : ensemble très discret, douceur en arrière-plan, petite touche fumée.
Milieu de bol : pas de changement notable.
Fin de bol : relativement peu d’évolution. L’ensemble se densifie, douceur plus perceptible, sans toutefois révéler plus de richesse ou de complexité.

Roland Schwarz - Freehand

Allumage : douceur bien perceptible, note fumée, arôme d’anis en arrière-plan.
1er tiers : douceur, note fumée très discrète, arômes diffus.
Milieu de bol : la douceur reste, les orientaux deviennent perceptibles. Latakia un peu plus présent, ses arômes commencent à se frayer un chemin. Les arômes se densifient progressivement avec toujours une belle douceur. Réglisse, légère percée de notes plus épicées, encens.
Fin de bol : L’ensemble se condense, la douceur reste bien perceptible sur la langue, les arômes se fondent et se partagent entre les notes sucrées-fumées-fruits secs, réglisse, fenouil grillé, présence des notes d’encens et de résine, et des nuances plus animales – cuir.
Finale étonnante, puissante, opulente, sensations très physiques, comme une liqueur, on mâche littéralement la fumée. Au aucun moment la fumée ne pique ou n’agresse le palais et la langue.

Thierry Melan Dublin

Allumage : douceur bien perceptible, note fumée très discrète
1er tiers : RAS
Milieu de bol : les arômes profonds des orientaux font lentement surface mais restent très discrets pour ne se livrer avec un peu plus de franchise que vers la fin du deuxième tiers du bol, avec le Latakia qui trouve un peu son chemin vers le devant de la scène.
Fin de bol : l’ensemble devient plus dense, les arômes de réglisse, l’encens et la résine arrivent à se faire jour accompagnés d’une note fumée un peu plus relevée. Une petite touche très sympa de café torréfié (si si !) de temps à autres, comme un clin d’œil à Thierry Melan ;-)

David Enrique Lovat

Allumage : douceur, pas de note fumée, légère note « gâteau - crème – vanille »
1er tiers : douceur bien présente, la note vanillée persiste durant quelques minutes, puis les orientaux et le Latakia entrent en scène.
Milieu de bol : évolution indécise avec plus d’intensité. Douceur est moins perceptible. Alternance d’arômes, un petit bout de gâteau, une bouffée de Latakia, un petit passage des orientaux. Un tirage au sort aromatique.
Fin de bol : la douceur revient, cette fois plus physique. La note fumée et les arômes profonds du Latakia apportent de la complexité. Les orientaux sont présents, avec discrétion. Notes caramélisées. L’ensemble devient dense, sombre et puissant. Clôture en beauté.

Davorin Denovic Morta Freehand

Allumage : douceur bien présente, légère touche fumée
1er tiers : douceur, légers arômes de gâteaux secs (genre broyé du Poitou) avec un soupçon de vanille. Picotements et sensation légèrement astringente sur la langue, mais pas désagréable.
Milieu de bol : la douceur passe à l’arrière-plan, les notes fumées du Latakia chypriote deviennent plus nettes, résine et encens. Les orientaux chuchotent discrètement. L’ensemble se densifie, devient viril avec un passage durant lequel le Latakia prend nettement le dessus. La domination chypriote est contestée par le retour d’une certaine douceur et une présence plus forte des orientaux à l’approche de la fin du bol.
Fin de bol : le finale dans cette morta de Davorin fut une sorte de joute amicale entre une douceur fruitée qui tentait de tenir la dragée haute à un Latakia qui roulait des mécaniques. Entre douceur et fumée aromatique, des passages un rien âcres et stimulants rappelant les sensations éprouvées en dégustant un Talisker ou un Laphroaig, deux whiskys « pour hommes ».
S’il n’y a pas eu le précipité aromatique spectaculaire qui m’avait tant enchanté dans la Roland Schwarz, je dois dire que c’est la première fois que je prends un réel plaisir de fumage avec cette robuste morta. Voilà une pipe qui a peut-être trouve son tabac.

De l’intérêt de laisser reposer une pipe !

En guise de post-scriptum, une simple observation concernant le temps de repos des pipes. Je ne découvre rien en écrivant cela, mais il me semble bon de le répéter : le repos fait du bien à nos compagnes en bruyère ! Dans le cas présent j’ai fumé le Balkan Passion dans trois pipes qui avaient reposé durant plusieurs semaines : la Roland Schwarz Freehand, la Lovat de David Enrique et la morta de Davorin Denovic. Je ne saurai vous dire si c’est le fruit du hasard ou la conséquence de ce repos prolongé, toujours est-il que c’est dans ces trois pipes que j’ai éprouvé les sensations les plus intenses et le fumage le plus évolutif et satisfaisant.